A propos des traductions des textes et de la
vérité :
"Ce
qui me paraît précieux, c'est de se pencher sur les traductions
dans le but de constater comment, de version en version, le message s'est
trouvé édulcoré et d'en retrouver toute la puissance.
Ce fut une révélation pour moi de découvrir combien
les traductions françaises des Evangiles étaient imparfaites
par rapport au texte grec. Par exemple, pourquoi traduit-on encore métanoïa
par « repentance » ? N'est-ce pas une traduction
très pauvre qui, au lieu de transmettre l'invitation à une
transformation intérieure radicale, à un retournement,
à un dépassement de l'intellect, ramène l'engagement
sur la voie à une perspective moralisante ?
Je me suis, il y a quelque temps, rendu en Israël et Palestine avec
un ami dominicain, le Père Jacques Blache, fervent des pèlerinages
en Terre Sainte et qui a beaucoup étudié l'hébreu.
Nous avons vécu ensemble un moment très fort au Puits de
Jacob, celui au bord duquel s'est déroulé le dialogue entre
le Christ et la Samaritaine. C'est dans ce passage sublime que figure :
« Dieu est esprit, il faut que ceux qui l'adorent l'adorent
en esprit et en vérité ». Le père Blache
me faisait remarquer que le mot traduit par vérité est le
mot grec alléthéïa. Lethé, c'est
le sommeil, la léthargie, alléthéïa,
c'est le non-sommeil. Qu'est-ce que le « non-sommeil »,
sinon cette vigilance sur laquelle insistent tellement tous ces enseignements
qui m'ont fasciné ?
Quand j'ai lu pour la première fois à propos du Bouddha
l'expression « éveillé parmi les endormis »,
j'ai reçu un grand choc : jamais on n'avait attiré
mon attention sur le fait que le Christ propose aussi concrètement,
Lui aussi, le non-sommeil, la veille, la vigilance, l'éveil
Cette lecture des textes permet de faire ressortir la puissance transformatrice,
de mesurer à quel point ils sont un appel au retournement intérieur,
au don de soi, à la communion. Au lieu de rétrécir
le champ de vision, elle ouvre des perspectives libératrices."
Regards sages sur un monde fou, Arnaud Desjardins, 1998
Retour page précédente
A propos de la relation maître-disciple :
"Suzanne
Siauve (Le guru dans la tradition hindoue, le maître spirituel,
1980) répartit les fonctions du maître spirituel en trois
volets. Premièrement, l'instructeur ou l'enseignant. C'est
sa fonction la plus érudite et la plus extérieure. Deuxièmement,
le guide au long d'un itinéraire spirituel. Cela suppose
que le maître a fait lui-même tout ou partie de l'expérience
en question. Le troisième aspect est la participation vécue,
presque physique, à l'expérience même du guru.
Celui-ci est un médiateur, pour ne pas dire un médium ;
il est le canal de la grâce (anugraha, saktipata).
A propos de ce pouvoir médiumnique : L'essentiel est de partager
la vie du maître, fût-ce de manière intermittente.
La participation de l'affectivité, du subconscient et de l'imagination
est déterminante, au point qu'on peut même à distance
vivre avec le maître, le voir en rêve, être à
ses pieds. C'est une méthode d'immersion, comme pour apprendre
les langues. Plutôt qu'il n'enseigne, le maître « éveille
les facultés cachées de son disciple grâce auxquelles
celui-ci va découvrir et comprendre par lui-même »
(Hermès, Lilian Silburn). Cela peut se faire par transmission directe
d'esprit à esprit, de cur à cur, ou par la voix,
par l'échange des souffles, voire par l'étreinte et l'accouplement.
Quelle que soit la variété des moyens de transmission, il
revient au disciple de s'abandonner. L'abandon, geste mystique
par excellence.
Une comparaison : nous nous trouvons réunis avec des amis dans
une salle. Celle-ci est remplie d'ondes hertziennes. Nous ne les percevons
pas. Il nous faudrait pour cela un cohéreur d'ondes. De même
le fond de l'existence est fait de vagues de félicité. Le
guru est le cohéreur qui les capte et rend ses proches capables
de les percevoir et d'en être pénétrés :
non pas à travers un enseignement intellectuel mais d'une manière
immédiate, sensible au cur.
Un maître est indispensable. Etant donnée la peur profonde,
presque insurmontable, qui nous retient au moment de nous lâcher,
il faut pouvoir remettre son être entre les mains d'un maître
bienveillant et sûr. Un peu comme un débutant se tranquillise
en voyant la perche du maître nageur non loin de lui."
L'Inde pense-t-elle ?, Guy Bugault, PUF, 1994
Retour page précédente
|
A propos de l'intérêt de lire Nagarjuna
:
"Suite
à la mort du maître, le travail de classification des Sutra
dans les écoles comportait le risque de durcir en système
ce qui avait été, dans une large mesure, une prâxis
entre les mains du « maître en remèdes »
(bhaisajya-guru) qu'était le Buddha. Ce faisant, les Abhidarmika
ont suscité la réaction de Nagarjuna développée
dans ses Stances.
Elle nous intéresse encore dans la mesure où le mode de
pensée de ses adversaires, leurs catégories et notions communes
(causalité, mouvement, arrivée, départ, commencement
et fin ; l'acte responsable et ses conséquences affectives ; les
« choses », le « moi », etc.)
continuent d'être bien souvent les nôtres, non seulement au
niveau du bon sens dans la vie quotidienne mais jusque dans l'élaboration
d'une thèse philosophique. Lire Nagarjuna est un exercice de remise
en question, qui fonctionne de manière purgative et ablative,
une sotériologie."
L'Inde pense-t-elle ?, Guy Bugault, PUF, 1994
Retour page précédente
A propos de l'appel à la vigilance de
Nagarjuna :
svayam
krtam yadi bhavet pratitya na tato bhavet
skandhan iman ami skandhah sambhavanti pratitya hi
« Si
[la douleur] se produisait d'elle-même, alors elle ne se produirait
pas en fonction d'autre chose.
Mais, en fait, tels groupes de phénomènes viennent à
l'existence en fonction de tels autres. »
"Il
faut rappeler et se rappeler qu'aucun être ne peut être coupé
(vinirmukta) de son environnement autrement que par une abstraction
inconsciente. Ainsi, sur le plan existentiel qui est celui de Nagarjuna
comme de ses adversaires, on ne peut accepter de parler de A.
Dans une perspective existentielle, A = non-sens, et A = A c'est
non-sens sur non-sens, puisque A n'est jamais donné dans l'expérience.
C'est une manière de parler (prajnapti) au niveau des vérités
conventionnelles (samvrtisatya), une astuce opératoire,
un mot de code. D'ailleurs cela ne pose plus de problèmes,
car la logique et la science modernes ne prétendent plus être
une description de la réalité, mais un code, terriblement
efficace d'ailleurs.
 
Dans la pratique cependant, l'imagination risque de nous réinvestir,
le danger de réification et donc d'aliénation reste considérable.
La dialectique nagarjunienne nous rappelle à la vigilance.
Ou, comme le dit le Vénérable Thich Nhat Hahn, « être
c'est toujours inter-être » :
tout se tient."
L'Inde pense-t-elle ?, Guy Bugault, PUF, 1994
Retour page précédente
A propos du lien entre les deux vérités :
"Avec
le langage articulé, l'enfant reçoit, à son insu,
des clés, un code, une grille de lecture qui lui permettent peu
à peu de structurer et d'organiser ses expériences. Lorsque
le bon sens s'approfondit, on comprend ce rôle de code du langage
et que nous fonctionnons d'après lui : pas de communication
sans code.
Mais quelle est alors notre situation existentielle ? Nous sommes
en charge de deux vérités, d'où un certain hiatus,
car le vécu phénoménologique est une chose, l'analyse
réflexive en est une autre. On pourrait donc craindre une situation
plus ou moins schizoïde. Mais l'expérience montre, dans d'autres
domaines, que nous sommes capables de supporter une certaine tension pourvu
qu'elle ne soit pas excessive.
L'articulation entre les deux vérités doit être trouvée
dans la loi de la coproduction conditionnée. « Ceci
étant, cela est. Ceci apparaissant, cela apparaît. Ceci n'étant
pas, cela n'est pas. Ceci cessant, cela cesse. » On la retrouve
dans l'expression bien connue : « tout se fait par relations »,
qui fonctionne aussi bien comme maxime sociale et mondaine, que comme
postulat scientifique, ou encore comme parole de vacuité et vérité.
La dialectique des deux vérités est une annulation.
Dans le Livre de la Consolation divine, Eckhart dit : « Si
tu soulèves et prends sur toi ta croix, alors la croix est enlevée,
il n'y a plus de croix ». Comme on dit « lever une
difficulté, un obstacle ».
Dans le deuxième discours du Majjhima-nikaya, le Sabbasava-sutta,
le Bienheureux classe lui aussi les choses sous deux rubriques :
celles auxquelles il faut penser (cinteyya), celles auxquelles
il ne faut pas penser (acinteyya). L'analyse par le langage ne
s'applique pas à cette sphére de l'insignifiant, de l'insignifié.
Le décodage consiste en une simple annulation du code : anyas
tusnibhavah, le noble silence.
Qu'on se rappelle la fin de non-recevoir opposée par le savant
brahmane Yajnavalkya à la curiosité anagogique de Gargi
la théologienne : « N'en demande pas trop, Gargi,
prends garde que ta tête n'éclate ».
Dans la pratique, on considérera deux pôles : la vie
comme tout le monde mais en étant présent à ce qu'on
fait, le recueillement en silence que suggère si bien l'iconographie."
L'Inde pense-t-elle ?, Guy Bugault, PUF, 1994
Retour page précédente
| La
pratique du Yoga | Les bienfaits du yoga |
© Le
Yoga de l'Union
| Page d'accueil du site
|
|