A propos du fait d'apparaître et disparaître
:

Stance 21,20. Dès lors que ce qui est en cours de destruction et ce qui est en train de naître ne peuvent coïncider, comment soutenir que les groupes d'appropriation au moment de la mort sont ceux-là mêmes dans lesquels on va (re)naître ?

"Normalement, dans l'hindouisme, on souligne l'importance de la dernière pensée du mourant : on renaît conformément à elle. «Telle l'intention qu'un homme a dans ce monde, tel il devient quand il a trépassé» (Chandogya-Upanisad). Cette idée se retrouve dans le bouddhisme et sans doute est-elle vraie d'un point de vue religieux, c'est-à-dire d'une vérité relative (samvrti-satya), qui comporte une part d'imagination comme tout ce qui a trait à la transmigration.
Ici, Nagarjuna, se plaçant au point de vue de la vérité ultime (paramarthatas), rejette cette bande dessinée parce qu'elle suppose que c'est le même personnage qui transmigre, alors que le bouddhisme enseigne que « tout est impermanent » (sarvam anityam). Là est la faille que l'on peut trouver même dans des ouvrages très sérieux sur la transmigration, tel celui du Dr J.P. Schnetzler De la mort à la vie (Dervy, 1995)."

Stance 21,21. Ainsi, dans aucun des trois temps, l'idée d'une série existentielle ne peut logiquement aboutir. N'existant dans aucun des trois temps, comment la série existentielle pourra-t-elle exister du tout ?

"Les trois moments du temps : passé, présent, avenir.
Nagarjuna a donc démontré, déconstruit l'idée d'une série existentielle entendue en un sens ontologique. « Il est établi, conclut Candrakirti, que les choses ne naissent pas en soi. » On ne saurait trop souligner cette restriction qui laisse subsister les choses en relation mutuelle. Il est vrai que cette clause, une fois approfondie, débouche sur la vacuité universelle."

 
Stances du milieu par excellence, Nagarjuna, Guy Bugault, 2002

 
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A propos des méprises :

Stance 23,23. Ainsi s'arrête l'ignorance (avidya) par l'arrêt des méprises (viparyaya). L'ignorance arrêtée, les tendances à agir héritées du passé (samskara) s'arrêtent elles aussi, et tout ce qui s'ensuit.

"Les quatre méprises sont : 1° prendre pour permanent (nitya) ce qui est, en réalité, impermanent (anitya) ; 2° pour bien-être (sukha) ce qui est, en réalité, mal-être (duhkha) ; 3° pour pur (suci) ce qui est, en réalité, impur (asuci) ; 4° pour soi (atman) ce qui n'est pas soi (anatman).
C'est par ces méprises que se manifestent notre ignorance dans la vie quotidienne. C'est donc à travers elles que l'on peut saisir l'ignorance sur le vif.
Et saisir l'ignorance, c'est neutraliser par la suite tout ce qui enchaîne l'homme, c'est-à-dire la duodécuple concaténation du Canon bouddhique : ignorance (avidya) -> tendances à agir (samskara) -> conscience embryonnaire (vijnana) -> composé psychosomatique (nama-rupa) -> les cinq organes sensoriels plus l'organe mental (les six ayatana) -> contact (sparsa) entre chaque sens et son objet -> sensation (vedana) -> soif (trsna) -> appropriation (upadana) -> existence, devenir (bhava) -> naissance (jati) -> vieillesse et mort (jara-marana).
J. May (note 586) distingue alors deux faces de l'avidya : l'avidya radicale, insondable et impersonnelle, aux dimensions du cosmos, précédant et conditionnant toute existence particulière, et l'avidya-effet, produit empirique, existant à l'état latent sous forme de dépôts karmiques (anusaya), résidus inconscients intégrés au déroulement d'une séquence personnelle. Entre ces deux aspects il y a comme un cercle magique, sans possibilité d'énoncer une recette pour conduire à l'éveil ou à la délivrance. C'est dire que le terme d'arrêt (nirodha) fonctionne d'une manière métaphorique. Il n'y a rien à arrêter.
(...) Maintenant, s'il est vrai que la méprise suprême, celle de la Scolastique, est de croire à l'existence des méprises, sur le plan pratique le dévoilement des quatre méprises garde tout son intérêt thérapeutique. Ce que rejette Nagarjuna, c'est une ontologie des méprises. Elles n'ont pas de nature propre (svabhava), pas d'existence en elles-mêmes. Nagarjuna dénonce une entité-fantôme. Rien de plus.
C'est là, comme dirait Chr. Lindtner, «a philosophy of great humour» (Journal of Indian Philosophy)."

 
Stances du milieu par excellence, Nagarjuna, Guy Bugault, 2002
L'Inde pense-t-elle ?, Guy Bugault, PUF, 1994

 
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A propos des nobles vérités
:

Stance 24,8. C'est en prenant appui sur deux vérités que les Budha enseignent la Loi, d'une part la vérité conventionnelle et mondaine, d'autre part la vérité de sens ultime.

"Stance célèbre et décisive, en ce sens qu'elle remet en cause notre idée unidimensionnelle et ontique de la vérité.
Le Buddha ne cesse de répéter, à propos de sa doctrine et discipline : « Je l'enseigne comme double ». La vérité conventionnelle et mondaine (samvrti-satya) est l'ensemble des normes qui règlent les échanges dans la société.
A cette vérité pragmatique et cadrée, qui ne va pas au fond des choses, s'oppose la vérité de sens ultime (paramartha), pour ainsi dire « le dernier mot », le dernier panonceau indicateur, la dernière flèche sur le chemin bouddhique, après quoi il n'y a plus de chemin, rien que l'extinction ou le nirvana.
Le paramartha ne peut être enfermé dans une définition, comme un objet de connaissance. Trois moyens indirects permettent cependant, selon J.W. de Jong, de le suggérer (non pas de l'expérimenter) : négation, coïncidence des opposés, désignation par métaphore."

Stance 24,10. Faute de prendre appui sur l'usage ordinaire de la vie (vyavahara), on ne peut indiquer le sens ultime (paramartha). Faute d'avoir pénétré le sens ultime, on ne peut atteindre à l'extinction (nirvana).

"Quoi qu'il en soit, Nagarjuna souligne avec force la nécessité de prendre appui sur le code du langage ordinaire aux fins de s'en libérer et de pénétrer le sens ultime. Si l'on veut puiser de l'eau, commente Candrakirti, on doit se servir d'un récipient. Sans cela, d'ailleurs, comment comprendre que le Buddha ait prêché ?"

 
Stances du milieu par excellence, Nagarjuna, Guy Bugault, 2002

 
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A propos du nirvana :

Stance 25,24. Béni est l'apaisement de tout geste de prise, l'apaisement de la prolifération des mots et des choses. Jamais un quelconque point de doctrine n'a été enseigné à quiconque par le Buddha.

"Stance finale dont l'accent sotériologique s'impose, non sans paradoxe.
Il faut passer de l'idée d'extinction à l'extinction de l'idée, du désir de l'extinction à l'extinction du désir. Candrakirti précise que celle-ci est bienheureuse (siva) à cinq points de vue : en tant qu'elle est notre nature originelle, en tant que repos de la parole et de la pensée, élimination des passions et des (re)naissances, extirpation des résidus inconscients ; enfin, débarrassé d'objets à connaître, on est affranchi de cette passion subtile, avoir à connaître.
Maintenant, comment comprendre que le Buddha n'a proféré aucun enseignement ? Retenons seulement l'explication de Candrakirti citant l'Arya-tathagata-guhya-sutra : « Chacun des auditeurs, en fonction de sa capacité d'adhésion, de ses tendances, de ses résidus inconscients, projette ses réponses sur le silence du Tathagata et croit les entendre de sa bouche. »
En guise de fin abrupte et de court-circuit, citons le proverbe hassidique : « Le maître garde le silence et les élèves l'écoutent. »"

 
Stances du milieu par excellence, Nagarjuna, Guy Bugault, 2002

 
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