Dossier

Devenir soi est
une heureuse évolution

Claude Halmos
Psychanalyste (1)

 
Parler de progrès n'est pour un (ou une) psychanalyste ni sans risques ni sans ambiguïtés. Progresser évoque en effet l'idée d'un chemin à faire vers un état considéré comme meilleur. Autrement dit d'un chemin vers un « bien ». Un bien qui, en toute logique, ne peut dans cette optique qu'être le même pour tous. S'agissant de l'humanité dans son ensemble, le concept ne pose guère problème. Car considérer comme bien la suppression de l'exploitation, de la misère, de la violence, de la torture et de l'assassinat légalisés relève ni plus ni moins de l'évidence. Mais au niveau de l'individu ? Qui peut s'autoriser - et de quel droit ? - à décider pour un autre de ce qui est bien pour lui ? et au nom de quoi ?

La psychologie s'est néanmoins de tout temps chargée de le faire. S'érigeant par là même en gardienne d'un « normal » et d'un « pathologique » qu'elle définissait et définit toujours, alors même que ces mots sont, on le sait, générateurs de tant de souffrances et d'exclusions. Celle des adultes décrétés « malades dans leur tête » ; celle des enfants jugés « non conformes » ; celle des hommes et des femmes dont la sexualité ne répond pas aux critères de la normalité définis par les Maîtres.

La psychanalyse a fait rupture avec cette idéologie. Elle a substitué au « général » le « singulier ». Posant que chaque trajet individuel - à condition bien entendu qu'il respecte la loi des hommes - est légitime. À la notion de « normalité », elle a opposé celle de « vérité ». Est bien pour quelqu'un ce qui est « vrai » pour lui. Et lui seul peut en décider. À chacun sa vérité…

 

 


Si progrès il peut y avoir dans la vie d'un être,
c'est précisément de tendre vers sa vérité.
C'est-à-dire de s'approcher, autant que faire
se peut, de son désir.

 

Partant de ces postulats, la psychanalyse est-elle compatible avec l'idée de progrès ? Oui, car si progrès il peut y avoir dans la vie d'un être, c'est précisément de tendre vers sa vérité. C'est-à-dire de s'approcher, autant que faire se peut, de son désir. Ce qui implique le plus souvent que, préalablement, il le retrouve (avec ou sans cure analytique). Et s'arrache aux diktats auxquels il a cédé : « Je suis devenu médecin alors que seule la peinture m'intéressait, parce que c'était le rêve de mon père. J'ai épousé une femme alors que mon désir allait vers les hommes, etc. »

Vision individualiste qui, faisant de chacun le centre du monde, le dispenserait de s'occuper de ses semblables ? En aucun cas. Car - l'expérience le prouve - c'est seulement en se retrouvant soi-même que l'on peut découvrir l'accès à l'autre. Comment aimer un autre si l'on hait ce que l'on est ? Comment accepter la différence de cet autre si l'on continue soi-même à refuser la sienne ?

La psychanalyse n'exclut pas l'idée de progrès. Mais elle la fait rimer avec tolérance et liberté. Et en cela elle dérange. Comme elle a toujours dérangé. Et sans doute plus encore à notre époque où sévit, on le constate, une psychiatrie « made in USA » qui, confondant les humains et les machines, entend les réduire à une liste uniformisée de symptômes et de comportements qu'il s'agirait d'éradiquer ou de rectifier. Recul évident de la pensée qui, loin de ne concerner que les seuls spécialistes, devrait être considéré comme un danger majeur par tous ceux que préoccupe la notion de progrès.

 

(1) Dernier ouvrage paru : Pourquoi l'amour ne suffit pas. Aider l'enfant à se construire, Nil Éditions, 2006.

 

La Croix, 20 octobre 2006

 

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